1. Que signifie « non-aristotélicien » ?

© Isabelle Aubert-Baudron

Le sens du terme « non-aristotélicien » est parfois interprété à tort comme signifiant « anti-aristotélicien », et la sémantique générale, appelée par Korzybski « logique non-aristotélicienne », comme opposée à la logique d’Aristote.

Cette interprétation erronée a engendré vis-à-vis de la sémantique générale des attitudes idéologiques qui n’ont pas lieu d’être de la part de défenseurs de l’aristotélisme.

Cette interprétation ne correspond pas à la réalité : il convient ici, pour éclairer le sens de cette expression, de situer la sémantique générale dans son contexte historique, ainsi que la démarche de Korzybski, dans le contexte scientifique dans lequel il a élaboré la sémantique générale.

Contexte historique:

Les différentes logiques élaborées en Occident l’ont été à partir de l’état d’évolution des sciences, la physique et la vision du monde de leur époque :

Antiquité :
– La logique d’Aristote est apparue dans l’antiquité (- 450 avant notre ère); elle reposait sur la vision antique du monde, qui concevait la terre comme un cercle plat, immobile, au centre de l’univers, et les corps célestes, comme tournant autour de celle-ci.
Cette vision géocentriste a fait autorité jusqu’au XVII° siècle.

– En mathématiques, Euclide élabore la géométrie plane.

XVI°-XVII° siècles:
– Copernic (1473-1543) puis Galilée (1564-1642) remettent en question la vision géocentriste d’Aristote pour une vision héliocentriste: la terre devient une sphère qui tourne autour du soleil.
– Isaac Newton (1643-1727) met en place la mécanique céleste, découvre la loi de la gravitation universelle et la mécanique newtonienne ou mécanique classique.
– Dans le courant de la révolution copernicienne, René Descartes (1596-1650) met sur pied le mécanisme, et élabore une nouvelle logique, correspondant à l’état des sciences de son époque.

XIX°-XX° siècles :
– les mathématiciens, confrontés aux limites de la géométrie euclidienne dans le cadre de la vision newtonienne du monde, mettent sur pied la géométrie non-euclidienne.

– Albert Einstein (1879-1955) élabore une théorie de la relativité générale et participe à la formulation de la physique quantique, une physique non-newtonienne.

– Alfred Korzybski (1879-1950) met sur pied la sémantique générale ou logique non-aristotélicienne, sur la base des mathématiques du début du XX° siècle, de la physique quantique et des travaux d’Einstein.

Le sens des termes « non-euclidien », « non-newtonien » et « non-aristotélicien » ne signifie pas que ces nouveaux domaines seraient « opposés » aux systèmes précédents, mais que les applications de ces derniers, apparus dans le contexte de l’état des sciences des époques précédentes, ne permettent pas d’appréhender ni de résoudre les nouveaux problèmes inhérents au niveau d’évolution scientifique du XX° siècle: par exemple, la physique de Newton ne peut permettre de traiter les problèmes relatifs à la technologie moderne : impossible de construire ou de réparer un ordinateur ou un poste de radio avec Newton, dont les travaux sont antérieurs à la découverte de l’électricité.

La physique non-newtonienne n’est pas opposée à celle de Newton, elle traite de domaines qui n’existaient pas de son vivant. Il n’existe aucun conflit entre physiciens au sujet de ces questions, et il ne viendrait à l’idée d’aucun d’opposer les deux.

Ainsi Aristote n’est pas opposable à Korzybski. La logique non-aristotélicienne peut permettre de résoudre des problèmes qui se posent à notre époque, dans le contexte de notre évolution scientifique actuelle, mais ne se posaient pas du temps d’Aristote parce que l’état des sciences d’alors ne permettait pas de les appréhender.

La logique de Korzybski n’est pas une méthode de développement personnel (le « développement personnel » n’existait pas en 1933 quand il a écrit Science and Sanity). Elle n’est pas non plus une nouvelle technique de management recelant des « trucs » de marketing, ni une thérapie, ni une méthode miracle permettant d’atteindre l’illumination en 3 jours. C’est une logique élaborée sur la base des mathématiques et de la physique du XX° siècle, ce qui n’est pas du tout la même chose.

Ses applications reposent sur une démarche scientifique: voir les travaux d’Henri Laborit en biologie, ou de Basarab Nicolescu en physique. C’est en me situant dans le cadre de cette démarche que je l’ai appliquée à l’économie.

Les difficultés auxquelles nous nous heurtons pour résoudre les problèmes qui se posent actuellement en économie sont de plusieurs natures : entre autres

– d’une part  « Le monde que nous avons créé est le résultat de notre niveau de réflexion, mais les problèmes qu’il engendre ne sauraient être résolus à ce même niveau. » Et « Un problème créé ne peut être résolu en réfléchissant de la même manière qu’il a été créé. » Albert Einstein.

– d’autre part les cadres dans lesquels des solutions sont envisagées sont liés à des considérations d’intérêt, d’idéologies, de croyances, etc.. Cette confusion  des niveaux d’abstraction empêche de poser les problèmes correctement, et rend impossible une approche neutre,  non partisane.

Il m’a semblé qu’un moyen d’échapper à ces pièges consistait à partir des bases sur lesquelles les scientifiques avaient pu sortir des impasses auxquelles ils avaient été confrontés.

Pour aller plus loin:

Interzone Editions: Seconde édition du « Séminaire de Sémantique Générale 1937 » d’Alfred Korzybski

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